Le rôle des élus, la pression du comité des usagers, la résistance de la multinationale de l’eau, un exemple significatif d’une bataille légitime menée avec patience et ténacité ( commentaire d’eau secours 62 ) .
cet article est tiré du site « eauxglacées.com » du journaliste Marc Laimé, qui relate toutes les « batailles de l’eau » en France, au jour le jour .
Castres fait depuis plusieurs années figure d’emblème, depuis que le maire (UMP) de la ville, M. Pascal Bugis, a décidé en 2004 de rompre unilatéralement le contrat qui liait la ville à la Lyonnaise des eaux. Intervenant après des années de combat acharné conduit par une association d’usagers, cette rupture, qui a conduit l’entreprise à intenter un procès toujours en cours, a entraîné la création d’une régie publique qui semble apporter toute satisfaction à la population. Le quotidien La Dépêche, qui a suivi ce conflit durant plusieurs années, évoquait à nouveau « l’affaire de l’eau » castraise, dans son édition du 12 février 2008. Notre confrère Jean-Marc Guilbert de la Dépêche a rendu compte des réponses apportées par plusieurs candidats aux municipales aux questions que leur ont adressé le Comité des usagers de Castres. Un éclairage instructif. Le service de l’eau et de l’assainissement a donc été remunicipalisé en 2004, après que la décision en ait été prise par le maire et son conseil. Cette rupture unilatérale du contrat signé en 1991 avec la Lyonnaise des Eaux fait d’ailleurs toujours l’objet d’un contentieux judiciaire devant le tribunal administratif.
C’est l’action engagée par le comité des usagers de l’eau qui avait permis préalablement d’établir que le prix de l’eau appliqué par la Lyonnaise était illégal. Illégal, parce qu’il intégrait une part de remboursement des « droits d’entrée », d’un montant de 96 millions de francs, versés par l’entreprise à la collectivité lors de la signature du contrat. Si l’eau a coulé sous les ponts depuis lors, le comité des usagers est resté très actif. Georges Carceler, l’un de ses membres, représente les usagers au sein de la régie municipale « Castraise de l’eau » qui gère aujourd’hui l’eau et l’assainissement dans la commune.
On notera donc, et c’est loin d’être anecdotique, que les usagers sont désormais partie prenante de la gestion de l’eau dans leur ville… Expérience faite, le comité des usagers tire un bilan et souligne les nombreuses avancées dont bénéficient les castrais(es) : tarifs, traitement des boues, remplacement des branchements en plomb : « Tout en étant conscient que l’on peut améliorer cette gestion, nous sommes satisfaits du départ de la Lyonnaise. Sous sa gestion, faut-il rappeler qu’en 14 ans, le prix de l’eau avait augmenté de 40 % et la redevance d’assainissement de 105 %. », commente Noël Legaré, figure historique du comité. Le comité vient donc d’écrire aux quatre prétendants qui se présentent aux municipales, et leur a adressé deux questions : « Quelle est votre position pour le maintien en régie autonome du service public de l’eau et de l’assainissement ? » « Quelle est votre position pour une action au tribunal d’instance pour récupérer les sommes versées par la commune et indûment perçues par la Lyonnaise, et pour organiser une assistance juridique et technique afin d’aider les usagers à récupérer leur dû ? »
La Dépêche publiait leurs réponses dans son édition du 12 février 2008 :
Pascal Bugis, maire actuel (UMP) : « Le contentieux est en cours »
Sur l’avenir de la Castraise de l’Eau,il indique : « J’ai souhaité la création de cette régie. Je me vois mal aujourd’hui souhaiter un changement de gestion ! » Quant aux indemnisations de la ville et des usagers, Pascal Bugis ajoute : « Concernant le remboursement des sommes indûment payées sur les consommations d’eau de la ville, je considère que c’est une affaire en cours devant le tribunal administratif. Nous sommes en procès avec la Lyonnaise et il y a des demandes croisées. Ces sommes sont comprises dans le contentieux général. » Et sur l’aide des usagers pour se faire rembourser : « Ce n’est pas une compétence de la commune. Des associations ou syndicats peuvent aider les usagers dans ce type de démarche. Mais pas la ville. Elle peut être bienveillante vis-à-vis de ces démarches individuelles, mais au delà, cela me semble poser un problème juridique. »
Philippe Folliot (DVD) : « Je n’ai pas de dogme » Très offensif sur ce dossier, Philippe Folliot indique : « Malheureusement, le maire a résilié un contrat de délégation dans des conditions juridiques très mal maîtrisées car le contentieux en appel actuellement peut coûter très cher à la ville et aux contribuables. Il eût été préférable d’exiger de la justice la réforme d’office du contrat de délégation pour en extraire le contenu non conforme au bon calcul du prix de l’eau. Aujourd’hui, le maire n’informe plus correctement les usagers de l’eau de l’exploitation du service par la Castraise car comment expliquer un prix de l’eau qui a augmenté contrairement à toutes ses annonces ? Je confirme donc que je n’ai pas de dogme quant à savoir si le service public de l’eau doit être géré en régie ou par délégation mais qu’à l’inverse, j’aurai l’exigence du bon exercice de ce contrôle. Par ailleurs, l’usage de l’eau doit s’intégrer dans une démarche citoyenne de réduction des consommations. »
Philippe Guérineau (DVG) : « Il faut remonter à la source »
Il est nécessaire de rappeler le scandale de la privatisation de l’eau par la droite le 1° janvier 1991. Pascal Bugis était alors conseiller municipal en charge des affaires juridiques de 1989 à 1995, dans la municipalité de Jacques Limouzy. (…) Aujourd’hui, les habitants de Castres sont en droit de demander le remboursement des sommes trop perçues par la Lyonnaise des Eaux sur leurs factures (de 1991 à mi-2004, le préjudice moyen subi par les usagers est de 1200 €). La commune a elle aussi subi le même type de préjudice. Je suis intervenu à plusieurs reprises pour que la Ville s’engage à informer, aider et soutenir les usagers auprès de la justice. Oui, les bénéfices dégagés doivent revenir à l’eau et non comme auparavant aux actionnaires de la Lyonnaise. La régie doit donc continuer. La gestion de l’eau est un domaine qui doit relever du service public Je m’engage à ce que la Commune apporte une assistance juridique et technique afin d’aider les usagers à récupérer leur dû.
Samuel Cèbe (PS) : « Pour le maintien en régie »
Beaucoup de pugnacité et une bonne dizaine d’années d’actions du comité de défense des usagers de l’eau ont été nécessaire pour que ce service retourne dans le domaine public. Dès l’été 2004, le tarif de l’eau et de l’assainissement a baissé de 10 %. Je salue ici le travail du comité des usagers. Aujourd’hui, très clairement, je souhaite le maintien en régie autonome du service public de l’eau et de l’assainissement à Castres. D’autre part, le comité des usagers se prépare à de nouvelles mobilisations afin d’obtenir le remboursement aux usagers des sommes indûment versées. En accord avec l’Assemblée Mondiale des Citoyens et des Elus pour l’Eau, réunie à Bruxelles en mars 2007, je soutiens pleinement cette action. Une fois élu je m’engage à apporter une assistance juridique et technique afin d’aider les usagers à récupérer leur dû. Mais compte tenu du contentieux en cours et notamment de la manière dont Pascal Bugis a géré ce dossier, le contribuable castrais n’est pas sorti d’affaire.
Lire aussi :
Le PC et les Verts s’en prennent à la Lyonnaise. La Dépêche, 1er décembre 2000
La victoire du comité des usagers. La Dépêche, 21 novembre 2001
Un imposant volet du conflit de l’eau se referme, La Dépêche, 13 février 2006
La ville crie victoire, mais la Lyonnaise contre-attaque. La Dépêche 7 avril 2006
Le dossier des municipales : Les mobilisations pour l’eau dans plusieurs dizaines de villes françaises
Le PC et lesVerts s’en prennent à La Lyonnaise 01-12-2000 CASTRES (81) : Faut-il remunicipaliser la gestion de l’eau ?
Le dossier de l’eau est entre les mains du tribunal administratif. Dans les différents mémoires écrits et échangés, les plaignants (des membres du comité des usagers) ont pointé des dysfonctionnements, qui se seraient perpétués après la renégociation de 1996 : « il n’y pas eu de détournements de fonds à caractère personnel, prévient Pierre Morel des Verts. Mais il existe des pratiques douteuses au détriment des usagers de l’eau ». De leur côté, Noël Legaré et Jean Bonnet, membres du parti communiste rappelent que des « irrégularités existent depuis 1991. Nous avons attaqué la délibération de la renégociation pour essayer de revenir aux problèmes initiaux ».
Tant les Verts que le PC dénoncent les mêmes choses. On peut distinguer quatre types de points. On lira ci-dessous les réponses apportées par les dirigeants de la Lyonnaise des Eaux.
1/ LES DROITS D’ENTREE Les articles 5 des contrats « eau et assainissement » ont prévu que la Lyonnaise des Eaux (LDE) devait verser à la ville de castres des droits d’entrée de 96 MF. La LDE les a bien versés, en trois échéances de 1991 à 1993. Ces droits d’entrée n’étaient pas interdit, à l’époque comme l’a confirmé la Chambre Régionale des Comptes. Mais les plaignants ont noté que ces 96 MF n’avaient pas été versés pour les services de l’eau et de l’assainissement, mais transférés au budget principal. De plus « ces 96 MF, qui avaient été présentés comme un cadeau de la Lyonnaise, sont en réalité un prêt à la ville au taux de 8.76 % sur 29 ans, note Noël Legaré. L’annuité constate de 9.2 MF est majorée par l’application d’un coefficient d’inflation. Sur ces bases de remboursement total mis à la charge des usagers, on atteint la somme de 281 MF, soit trois fois le montant des droits d’entrée reçus par la ville ». Tant le PC que les Verts estiment que si cet épisode n’est pas illégal, il n’est pas normal : « les usagers ont intérêt à agir pour refuser d’acquitter des charges qui ne sont pas une contrepartie directe du service rendu. Le prix de l’eau doit servir à payer l’eau », affirme le PC. De son côté, Pierre Morel estime que « M. Limouzy et son équipe se sont servi des 96 MF pur faire autre chose, sans qu’on sache réellement quoi. La piscine, la patinoire ? Les utilisateurs d’eau paient pour les contribuables ».
2/ LE REMBOURSEMENT DES EMPRUNTS Autre grief des partisans de la remunicipalisation de l’eau, le remboursement des emprunts. Le PC et les Verts ne contestent pas que la LDE a bien rembourser les emprunts mais en les étalent sur des annuités d’une durée de 29 ans, « avec intérêt, précise Pierre Morel. Pour rembourser les 157 MF qui restaient à la charge de la ville, les usagers doivent sortir 251 MF ! ».
3/ L’AUGMENTATION DE 5 % PAR AN DU PRIX DE L’EAU Les usagers ont-ils payé un surplus sur leurs factures ? Oui, estiment les Verts et le PC. Selon Pierre Morel, si la clause de 5 % d’augmentation de l’eau a bien été supprimée lors de la renégociation de 1996, « les sommes trop perçues n’ont pas été restituées. Le prix de l’eau aurait du baisser de 80 centimes », note Pierre Morel. Noël Legaré indique, pour sa part, que la LDE a prélevé au « détriment des usagers un montant total de 2.4 MF ». Pour mieux comprendre ce mécanisme, il faut savoir que chaque fois que de l’eau est prélevée, une taxe est versée à l’agence de l’eau : « quand, en 1989, le prix de base de l’eau a été établi par le conseil municipal, la taxe de prélèvement a augmenté, rappelle Pierre Morel. La Lyonnaise a répercuté l’intégralité de cette taxe de l’eau sur la facture. En 1989, il y avait 9 centimes de taxe de prélèvement par M 3 et en 1992, 29 centimes, alors que la taxe a été fixée à 13 centimes en 1997. Où est passé le reste ? A quoi ces sommes ont-elles servi ? Il y a un trop perçu de 2.5 MF de 1989 à 1997 ».
4/APPLICATIONS RETROACTIVES DES PRIX DE L’EAU Comme le reste, ce point est très technique. Il faut savoir que les prix de l’eau et de l’assainissement sont indexés semestriellement, les 1 er janvier et 1 er juillet de chaque année. La LDE établit des facturations annuelles, comme l’indique le contrat de l’eau : « la facturation est faite deux fois par an à l’issue des relevés des compteurs ou de l’estimation des consommations d’un semestre ».
Le relevé annuel des compteurs s’effectue entre le 15 septembre et le 15 novembre et la facturation intervient en avril. Selon Pierre Morel, la LDE « établit la première facturation sur deux périodes de consommations avec applications des prix au 1er janvier de l’année N, pour la première période d’octobre- novembre au 31 décembre de l’année N-1, et pour la deuxième période du 1 er janvier au mois d’avril/mai de l’année N. La totalité de la facturation est donc établie avec le prix au 1 er janvier année N, alors qu’une distinction aurait dû être faite entre les deux périodes ». Selon Pierre Morel « cela a pour effet de faire supporter rétroactivement par les usagers, pour la première période de consommation, une hausse de tarif dont les éléments de base n’étaient pas déterminés au moment où la consommation ainsi tarifée s’est produite. Le prix à appliquer pour cette première période est celui appliqué au 1 er juillet de l’année N-1. Cette même irrégularité se reproduit lors de la deuxième facturation. Cette surfacturation est systématique ». Comme on le voit, les griefs sont nombreux. Le PC entend obtenir « un audit sur la période des dix dernières années pour savoir où l’on en est. Nous voulons de l’objectivité, clame Noël Legaré. Ainsi qu’un débat avec la population et, pourquoi pas, un référendum pour savoir si l’on doit remunicipaliser le service public de l’eau ».
Quant aux Verts, ils réclament, « comme à Grenoble ou à Montpellier, la remunicipalisation du service de l’eau ». Le débat est lancé. Laurent BENAYOUN.
« On répond aux attentes de nos clients »
La remunicipalisation de la gestion de l’eau ? Les responsables de la Lyonnaise des Eaux haussent les épaules : « nous ne voulons pas entrer dans la polémique et un débat politique, expliquent Dominique Claudel et Christophe Reineri (1). Nous sommes des professionnels de l’eau et nous travaillons dans un cadre légal et un partenariat qui ne l’est pas moins avec la ville de Castres. Nous oeuvrons en liaison avec les attentes de nos clients pour livrer une eau de qualité et un service satisfaisant au juste prix. Les Castrais l’ont bien compris ». Sur le fond des griefs énoncés, la LDE indique que « le prix de l’eau au M 3 à Castres, fixé à 13 F, est nettement inférieur à la moyenne régionale et nationale ». Dominique Claudel précise que les avenants de 1996 au contrat de l’eau « ont été transmis en préfecture et qu’il n’y a eu aucun retour de contrôle de légalité ce qui donne une légitimité certaine ». Pour les droits d’entrée d’un montant total de 96 MF, la Lyonnaise note que « cette somme a été versée à la ville qui en fait ce qu’elle a bien voulu en faire. Nous avons respecté nos obligations contractuelles, ajoute Christophe Reineri. L’obligation d’affecter cette somme au service de l’eau et de l’assainissement n’existait pas à l’époque. Les droits d’entrée font partie de l’économie du contrat ».
« LE CONTRAT ET RIEN QUE LE CONTRAT » Passons à l’accusation du PC et des Verts concernant le maintien prétendument indu de la redevance de prélèvement : « le distributeur perçoit des sommes, explique Dominique Claudel. C’est un peu comme le prix de l’essence : on a le prix du produit et celui des taxes. Nous avons facturé au prix du m 3 qui devait augmenter de 5 % par an au terme du contrat. Nous avons simplement appliqué le contrat. Il faut savoir que, chaque année, les redevances augmentent et que nous appliquons les indices ».
Restent le système de facturation : « en mai, on établit une facture estimée de 40 % sur la base de la consommation de l’année précédente. Une seconde facturation est établie en fin d’année. Quand nous interrogeons nos clients, on voit que le système leur convient parfaitement. A plus de 90 %, ils sont satisfaits de la facturation. Ils paient à terme échu ».
La LDE conclut en indiquant qu’elle « applique le contrat et rien que le contrat. Le service est de qualité et la gestion correcte ». Recueilli par L. B.
(1) Respectivement chef d’agence de la LDE à Castres et chef d’agence clientèle et responsable régional de la communication pour la LDE.
Arnaud Mandement : « nous avons été au maximum »
Principal artisan de la renégociation de 1996, le candidat socialiste Arnaud Mandement a du la mettre en oeuvre quand il est arrivé à la tête de la mairie en juin 1995 : « le contrat signé par l’ancienne équipe était mauvais, répète le maire de Castres. Il aboutissait une augmentation de 5 % par an du prix de l’eau. Nous avons tout mis à plat et nous avons renégocié les volumes d’eau pour éviter une réévaluation des tarifs. Nous avons cassé l’architecture du contrat ».
L’opération a consisté, selon le maire, « à remunicipaliser partiellement une partie de la dette du contrat initial. Nous avons été au maximum ». Ce qui n’empêche pas certains de réclamer à nouveau la remunicipalisation : « comment la collectivité pourrait financer un contentieux de droit privé dans l’hypothèse où nous casserions le contrat avec la Lyonnaise des Eaux, note Arnaud Mandement. Si nous essayions de sortir, cela nous coûterait environ 200 MF. L’intérêt pour l’usager et le contribuable est d’éviter cette situation ». Le maire va plus loin : « j’affirme que la remunicipalisation de l’eau aboutirait à un prix de l’eau beaucoup plus élevé qu’aujourd’hui, trois à quatre francs de plus au m 3. Mais je suis prêt à donner l’ensemble du dossier pour procéder à une étude technique à propos des consésquences d’une municipalisation ». L. B.
La victoire du comité des usagers 21-11-2001 CASTRES (81) : Le tribunal administratif annule la délibération de décembre 1996
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Castres rime bien avec eau. Le feuilleton du plus précieux des liquides n’en finit plus de s’écrire. Le tribunal administratif (TA) de Toulouse vient de tourner une nouvelle page, en annulant la délibération du conseil municipal de Castres, votée le 19 décembre 1996, pour approuver un avenant au contrat de l’eau et de l’assainissement, assurée par la Lyonnaise des Eaux, depuis 1990. Depuis cette date, une bande de quelques irréductibles militants de gauche, réunis dans un comité des usagers, se battaient pour obtenir le juste prix de l’eau et dénoncer des irrégularités (lire ci dessous).
Le 11 octobre dernier, le commissaire du gouvernement du TA de Toulouse avait donné une indication qui ne laissait guère planer de doutes sur la décision de sa juridiction. Et en fin de semaine dernière, le verdict est tombé, signifié au comité des usagers (1), à la ville de Castres et à la Lyonnaise des Eaux (LDE). Cette décision ne devrait pas rester sans conséquence. Contactés par « La Dépêche du Midi », les responsables de la LDE n’ont pas souhaité la commenter, notant simplement que « le contrat continuait à s’appliquer ». On lira par ailleurs la réaction du nouveau et de l’ancien maire de Castres. En attendant, les explications du TA sont assez instructives. SERVICE RENDU AUX USAGERS Le tribunal est très clair : « Les tarifs des services publics à caractère industriel et commercial doivent trouver leur contrepartie directe dans le service rendu aux usagers et ne peuvent avoir légalement pour objet de couvrir les charges étrangères à la mission dévolue à ce service ». Ce qui n’a donc pas été le cas, en l’espèce, selon le jugement du TA. LES 96 MF DE LA DISCORDE Les uns l’appellent « contribution spéciale », les autres « droits d’entrée ». Toujours est-il que les 96 MF (14.635.106+E) versées par la Lyonnaise des Eaux, de 1991 à 1993, à la ville de Castres sont depuis le début au coeur du contentieux. Ce versement était illégal selon les usagers, parfaitement normal selon leurs opposants. Le tribunal administratif a tranché en faveur des premiers.
En expliquant que ces 96 MF auraient dû alimenter les budgets de l’eau et de l’assainissement et non le budget général, comme cela a été fait. Le TA – s’appuyant sur les audits réalisés à la demande de la ville de Castres par un cabinet privé – aborde également une autre question beaucoup plus technique, concernant les charges de la LDE : « La société fermière a comptabilisé au nombre de ses charges jusqu’en 1996 l’amortissement des contributions spéciales, en retenant un taux d’intérêt annuel évalué à 8.76 %, dont la contrepartie était principalement constituée par les recettes encaissées au cours de ces années auprès des usagers du service, dès lors les tarifs en vigueur jusqu’en 1996 étaient illégaux ». LES AMORTISSEMENTS C’est un autre considérant, comme on dit dans le jargon judiciaire, de la décision du TA. Dans son jugement, le TA note ainsi qu’aucune modification n’est intervenue en ce qui concerne la part des tarifs destinés à couvrir les charges d’amortissement des « contributions spéciales ». Mais aussi et surtout que « les requérants sont fondés à soutenir que les nouveaux tarifs de base sont entachés d’illégalité, dès lors qu’ils ont pour effet de répercuter sur les usagers une partie au moins des charges d’amortissement de sommes antérieurement versées à la ville par le fermier (la LDE) pour couvrir les dépenses étrangères aux missions de services et sans rapport directs avec les prestations » de la LDE. LE PRIX DE L’EAU PEUT-IL BAISSER ? C’est bien sûr la question qui intéresse en premier lieu les usagers. Nul ne se risque à aborder cette question. La Lyonnaise note que pour l’instant le contrat continue de d’appliquer. Mais déjà, aux côtés du comité des usagers, des voix s’élèvent pour obtenir le « juste prix ». Et la section castraise du parti communiste français indique dans un communiqué que « un nouveau prix de l’eau doit être défini ». Le débat continue. Laurent BENAYOUN.
(1) Débouté de sa requête, pour une simple question de forme ; les requérants qui ont obtenu individuellement satisfaction sont tous… membres du même comité.
« C’est dix ans de combat »
C’est la pièce centrale. Celle où tout s’est joué. Paul Latgé la montre avec le sourire, au sous-sol de sa maison. Autour de cette table, lui même, Jean Maynadier, Georges Carceller, Jean Bonnet, Noël Legaré ont beaucoup discuté. Ils se sont parfois disputés. Mais ils ont surtout bâti des dossiers, qui pèsent aujourd’hui plusieurs dizaines de kilos et occupent des rayonnages entiers de la bibliothèque. Depuis 1991, le comité des usagers se démène. Une bagarre dure, contre la Lyonnaise et la ville de Castres. Depuis vendredi dernier et la décision du tribunal administratif (TA) de Toulouse, ces hommes mûrs, militants politiques de gauche, savourent leur victoire. Sans triomphalisme : « C’est dix ans de combat, résume avec verve Paul Latgé. Il y a eu la pétition de 1990, 500 personnes qui ont envahi la salle du conseil en septembre de la même année. On refusait la privatisation de l’eau. » Mais très vite, cette position de principe a été relayée par les décisions des élus et de la Lyonnaise.
« JUSTE PRIX » Et la renégociation de 1996, conduite par le maire PS, Arnaud Mandement, a laissé les usagers sur leur faim : « L’ancien maire a négocié le prix de l’eau sans casser les irrégularités du contrat », maintient Noël Legaré. Les batailles, les manoeuvres, les bras de fer entre Arnaud Mandement et le comité furent légions. Entrecoupés de découvertes insolites. Paul Latgé raconte avec force détail comment il s’est aperçu, avec des voisins, que la LDE avait « volontairement surfacturé » sa consommation d’eau en 1992 pour « faire du financement par effet rétroactif ». Le comité a aussi des idées sur la destination des fameux 96 MF. Des idées que les intéressés hésitent à faire partager… Voilà pour les petites histoires. Reste la grande : « Le TA a reconnu que le prix de l’eau était illégal, disent-ils unanimes. Nous demandons tout simplement l’application du jugement et un juste prix pour l’eau. La privatisation a ouvert la porte à toutes les dérives. C’est pourquoi nous sommes inquiets sur la privatisation des parkings, annoncé par le nouveau maire. » Qu’on rassure ce dernier, le comité n’a pas l’intention d’attaquer sa décision. Pour l’instant. L. B.
Les réactions des politiques
La décision du tribunal administratif a entraîné des réactions. Nous avons suscité celle des ancien et nouveau maire de Castres. En attendant d’autres qui ne manqueront pas d’alimenter la chronique de cette interminable affaire.
Pascal Bugis, maire de Castres « Ma première réaction est celle d’un professionnel. Je compte me rapprocher du conseil de la ville pour relever son opinion et savoir s’il convient de faire appel. A-t-on intérêt à continuer dans une logique d’affrontement ? Nous essayons d’appréhender cette question des rapports compliqués de la ville avec la Lyonnaise des Eaux depuis 1995. Nos prédécesseurs ont eu la volonté très forte de renégocier le contrat de l’eau. Cette renégociation n’a pas eu d’effets bénéfiques déterminants pour le consommateur castrais, qui n’a payé qu’un franc de moins. J’observe que cette même renégociation a entraîné des difficultés pour notre ville. Il faut maintenant trouver des ajustements. Cette décision du tribunal administratif est aussi l’occasion de refaire le point sur nos relations contractuelles avec la Lyonnaise des Eaux. Nous devons rétablir des relations saines. Enfin, je le redis : il n’est pas question de remunicipaliser la gestion et le service de l’eau. Quant aux fameux 96 MF, il faut savoir que si c’était à refaire aujourd’hui, il ne serait pas question de recommencer. »
Arnaud Mandement, maire de Castres de 1995 à 2001 « Cette histoire, c’est un peu celle de l’arroseur arrosé. En 1990, Jacques Limouzy a privatisé la gestion de l’eau. En échange, la Lyonnaise des Eaux a versé 96 MF de droits d’entrée. Une somme faramineuse, au regard de ce qui se faisait ailleurs. Au lieu d’utiliser ces crédits pour financer les investissements futurs sur l’eau et l’assainissement, Jacques Limouzy a utilisé de manière illégale, mais non contestée dans les délais requis, cette somme pour financer l’Archipel, réalisée d’ailleurs par la société Lyonnaise des Eaux- Dumez. Arrivé à la tête de la mairie, j’ai engagé sans délai la renégociation du contrat de l’eau. Elle s’est faite avec un nouveau prix qui n’a plus de lien aujourd’hui de lien avec les conditions précédentes. Un chiffre d’affaires considérable a été enlevé à la société « Lyonnaise des Eux » et l’augmentation annuelle de 5 % supprimée. Le prix pour l’usager a baissé de 10 %. Le comité des usagers a estimé que c’était insuffisant et attaqué devant le tribunal. Si la délibération est annulée, on rétablira les conditions de 1996 pour le calcul du prix de l’eau. Il faudra ensuite reverser les 96 MF au budget annexe. Pour autant, la LDE n’aura rien perdu. Les plaideurs voulaient-il cela ? Dans tous les cas, le nouveau maire devra défendre les intérêts autant des contribuables que des usagers. Si M. Bugis entre dans ce dossier comme il le fait pour les autres, on peut-être inquiet. Il demandera peut- être conseil à son spécialiste en eau : Jacques Limouzy. Recueilli par L. B.
Publié le 13/02/2006 10:40 | Jean-Marc Guilbert
Un imposant volet du conflit de l’eau se referme La ville de Castres vient de renoncer à l’appel qu’elle avait déposé contre la toute première décision concernant l’affaire de l’eau. Explications.
La récente décision du maire de Castres Pascal Bugis d’abandonner l’appel que la ville avait déposé devant la cour administrative de Bordeaux vient conforter finalement l’allure générale qu’a pris ce dossier très complexe ces deux dernières années. Ce qu’il faut retenir de cet abandon de procédure, concerne au premier chef la genèse de cette affaire : la toute première décision du tribunal administratif de Toulouse prononcée en octobre 2001 est désormais définitive. Ce jugement reste en effet la clef de voûte du dossier de l’eau à Castres. C’est une procédure qui avait été initiée par des membres du Comité des Usagers de l’eau en 1997 visant à faire déclarer les tarifs de l’eau illégaux à Castres. Le tribunal administratif toulousain avait suivi l’analyse des Usagers, estimant à son tour qu’il fallait annuler les délibérations du conseil municipal de 1996 fixant le prix de l’eau à Castres. Le tribunal avait jugé en effet que le prix de l’eau et de l’assainissement ne pouvait inclure les charges d’amortissement du droit d’entrée versé par la Lyonnaise des Eaux en 1990 et 1991 à hauteur de 96 millions de francs. C’est bien cette décision qui avait conduit le maire de Castres, Pascal Bugis, à l’issue de longues et infructueuses négociations avec la Lyonnaise, de rompre le contrat avec celle ci et de reprendre en régie municipale la gestion de l’eau sur la commune en 2004.
Pascal Bugis explique le retrait de l’appel en ces termes : « Si on gardait un point d’interrogation sur la genèse du dossier, on risquait effectivement de se retrouver en porte à faux. Nous avions fait appel surtout en attendant de voir, par précaution finalement, comment allait évoluer le dossier. Aujourd’hui, il n’est plus utile de garder cette part d’incertitude. »
Le maire de Castres explique par ailleurs que c’est surtout la réussite de la mise en œuvre de la régie Castraise de l’Eau qui l’a conforté dans ses choix : « On se rend vraiment compte aujourd’hui que le système de régie municipale fonctionne très bien. Cela simplifie considérablement la gestion des travaux et le service apporté aux usagers. On a pu baisser les tarifs qui n’intègrent aujourd’hui que les seules charges du service de l’eau. C’est bénéfique à tous les niveaux. »
Il ne reste donc aujourd’hui sur la table principalement que le différend entre la ville et la Lyonnaise des Eaux, cette dernière réclamant des sommes très importantes en dédommagement de la rupture de son contrat. Une affaire très lourde pour laquelle la ville a commencé sur son budget 2006 à faire des provisions financières et qui va durer encore probablement de longs mois avant d’être arbitrée définitivement par la justice administrative.
Publié le 07/04/2006 09:51 | Jean-Marc Guilbert La ville crie victoire mais la Lyonnaise contre-attaque CASTRES (81) – Suite à la décision du tribunal administratif déclarant que la ville n’aura rien à débourser après l’annulation du contrat de l’eau.
Après une première décision favorable à la ville communiquée fin mars, on attendait impatiemment du côté de l’hôtel de ville la suite des jugements du tribunal administratif de Toulouse concernant le contentieux avec la Lyonnaise des Eaux. La décision finale, rendue publique avant-hier soir (notre édition d’hier), conforte la position juridique du maire Pascal Bugis puisque le tribunal administratif déboute la Lyonnaise de toutes ses demandes d’indemnités suite à l’annulation du contrat de l’eau. Sur le terrain judiciaire donc, le maire a gagné la partie en première instance. Le tribunal a juste mandaté un expert afin de déterminer le montant restant dû par la ville pour « les biens de reprise » mais ceci ne concernera que de très faibles sommes au regard des 66 millions d’€ qui étaient réclamés par la Lyonnaise. Le tribunal estime donc que la ville ne doit pas indemniser la Lyonnaise ni restituer le droit d’entrée versé en 1990 : « La ville sort totalement gagnante de ce contentieux. Cela prouve pour moi qu’une ville moyenne peut faire face au rouleau compresseur d’un géant de la distribution de l’eau. Face au mur capitaliste, un maire UMP peut gagner. Entre capitalisme et collectivisme, je choisis la liberté et surtout le pragmatisme. Au bénéfice des usagers puisqu’aujourd’hui le prix de l’eau à Castres fait partie des plus bas et que le service fourni par la régie est excellent. » D’ores et déjà, le comité des usagers de l’eau par la voix de Noël Legaré se déclare satisfait lui aussi : « Nous avons toujours défendu l’idée que l’impôt et les contribuables ne devaient pas payer ce que la Lyonnaise faisait payer aux abonnés de l’eau. Nous sommes contents d’en arriver là. Mais les usagers doivent encore se faire rembourser par la Lyonnaise des sommes dont ils ont été spoliés. » La partie n’est pas finie Si les dirigeants de la Lyonnaise ne cachaient pas hier leur déception après la décision du tribunal administratif, la société a d’ores et déjà décidé de faire appel mais aussi de contre-attaquer. Dans un communiqué, le directeur régional Jean-Philippe Walryck indiquait hier : « Ces contrats ont été déclarés nuls du fait d’une faute imputable à la ville au moment de la passation des contrats. Dans ses conclusions, le Commissaire du Gouvernement avait reconnu à Lyonnaise des Eaux le droit à une première indemnisation d’un montant de 8,3 millions d’€. En conséquence, Lyonnaise des Eaux fait appel au jugement de Toulouse et introduit une nouvelle demande d’indemnisation, à laquelle la décision du tribunal administratif ouvre la voie, fondée sur la responsabilité pour faute de la ville. » Autrement dit, la partie est loin d’être finie même si la ville de Castres vient d’en gagner le premier round.
Les principales dates du contrat de l’eau
1990 : signature du contat de l’eau et de l’assainissement dont la gestion est confiée à la Lyonnaise des Eaux pour 30 ans par la municipalité Limouzy en échange d’un droit d’entrée de 96 millions de francs.
1996 : la municipalité Mandement (PS) renégocie le contrat avec la Lyonnaise. Le comité des usagers conteste la délibération approuvant la renégociation.
2001 : Le tribunal administratif déclare illégal le prix de l’eau car il intègre le remboursement du droit d’entrée. Un jugement qui contraint la ville à négocier avec la Lyonnaise sur l’avenir des tarifs. L’appel concernant ce jugement vient d’être abandonné. Cette décision est définitive.
2001-2003 : pluiseurs tentatives de négociation entre la ville et la Lyonnaise pour définir un nouveau prix de l’eau à Castres échouent.
juin 2003 : Pascal Bugis (UMP) décide de rompre le contrat avec la Lyonnaise des eaux et remunicipalise le service à dater du 1er juillet 2004.
janvier 2004 : La Lyonnaise des Eaux dépose un recours auprès du tribunal administratif.
juillet 2004 : La régie municipale Castraise de l’Eau entre en service.
avril 2006 : le tribunal déboute la Lyonnaise de ses demandes.