Eau secours 62 … Véolia … dans l’Arrageois et ailleurs
Comment se fait la gestion de l’eau d’alimentation dans notre pays ?
La gestion de l’eau est forcément locale ( commune, communauté de communes, communauté urbaine ou d’agglo ) car l’eau ne se transporte pas comme l’électricité ou le gaz. Et la ressource ne peut être que trouvée localement.
L’eau est le premier bien vital ( = d’une absolue nécessité pour la vie ), avec le soleil et l’air.
Et depuis l’invention de l’eau courante, le gestionnaire tient en quelque sorte les usagers en son pouvoir : on ne peut refuser son eau et changer de fournisseur.
Ceci devrait plaider en faveur d’un véritable service public de gestion de l’eau, puisqu’il s’agit d’un droit fondamental. Mais, depuis le milieu du XIXème siècle, des banquiers français se sont rendu compte des profits qu’ils pouvaient tirer de ce « produit » : chacun en a forcément besoin, et une fois le gestionnaire installé, il n’y a pas de concurrence possible ; la vente ( et le profit ) sont assurés.
Les multinationales de l’eau ont pris la relève des banquiers du second empire ; elles sont maintenant trois en France : Véolia-Eau, Suez-Lyonnaise des eaux, et la SAUR ( anciennement Bouygues). A leurs côtés, des gestions publiques ( pour 40% des communes et 20% de la population).
Quelles sont les caractéristiques d’une Délégation du Service Public ( DSP ) de l’eau, au privé ?
Un contrat est signé ( limité à 20 ans actuellement ) entre la collectivité et la multinationale pour la distribution de l’eau et/ou l’assainissement des eaux usées. C’est un contrat d’affermage : la multinationale est le gestionnaire d’une infrastructure qui appartient à la collectivité ; elle est aussi en général, chargée de la facturation et du recouvrement. Le budget de l’eau est totalement indépendant dans une commune : tout est payé par les factures des usagers ; la gestion, les investissements.
Sur les contrats, apparaissent les objectifs fixés au délégataire comme le rendement du réseau (recherches des fuites), la tarification de l’eau et son augmentation annuelle par un coefficient multiplicateur, un bordereau du prix des matériaux et des pièces et son augmentation annuelle programmée…Un manque de précisions dans certains contrats permet des interprétations diverses à l’avantage du délégataire.
Depuis une dizaine d’années, un rapport annuel technique et financier du délégataire doit être fourni à la collectivité (pour essayer d’éviter les abus et scandales notamment de l’époque J.M. Messier).
Quels sont les vices d’une DSP ?
Le premier concerne les élus et leur désengagement des questions de l’eau ; peu ont pris connaissance des contrats ( certains ne savent pas, par ex, si la suppression des branchements plomb est à la charge de la collectivité ou du délégataire) ; des Directeurs Généraux des Services communaux conscients de ce problème, se plaignent de l’absence de connaissance de certains élus. Les contrats couvrent plusieurs mandats municipaux, et au bout de quelques années, ils peuvent être oubliés. Pour les élus, il est facile de se reporter entièrement sur le délégataire, « spécialiste » de l’eau.
Ensuite, c’est l’opacité de la part du délégataire. Le rapport annuel est peu détaillé (la loi ne le demande pas), en particulier au niveau financier : pas de précisions, pas de factures.
D’une manière générale, aucun contrôle sérieux n’est réalisé de la part de la collectivité concernant les travaux et les dépenses. Il est significatif de constater qu’avec la montée des mouvements d’opposition à la gestion privée, les multinationales se permettent de proposer des baisses de prix très importantes.
C’est la proximité entre cadres élus d’un parti politique et cadres d’une multinationale ; les cadeaux, le mécénat ( Véolia et le Louvre Lens etc… ) Le vice démocratique concerne aussi l’absence de participation directe des élus et des usagers. Donc un éloignement, au moins des aspects sociaux et écologiques.
Au final ,on s’aperçoit qu’un très petit nombre de personnes, au niveau de la démocratie locale, ont une bonne connaissance des dossiers de l’eau.
Quels sont les bénéfices de la multinationale délégataire ?
Ils sont difficiles à évaluer pour les raisons qui suivent. On peut distinguer bénéfices apparents et bénéfices cachés.
Les bénéfices apparents sont faciles à relever : c’est le résultat du compte d’exploitation annuel du rapport du délégataire ( les recettes moins les charges). Pour la Communauté Urbaine d’Arras : + 1,2 millions d’€ en 2011 et approximativement la même somme en 2009 et 2010.
Les bénéfices masqués (mais légaux) sont nombreux : ils vont de la surévaluation du prix des pièces, aux « frais de siège et de recherche » ( impossibles à vérifier, avec une obligation pour les usagers de financer une recherche qui servira au privé ), aux produits financiers ( Véolia encaisse, dans nos factures, la part de la collectivité, de l’agence de l’eau, ainsi que la TVA, avant de reverser ces sommes, avec un décalage qui permet des bénéfices bancaires ), aussi, le coefficient multiplicateur qui permet d’augmenter automatiquement le prix de l’eau d’une année sur l’autre etc …
Une expertise financière de fin de contrat, demandée par la Communauté d’Agglomération de Lens Liévin ( gérée par Véolia ), a estimé la marge bénéficiaire à 17,5 %. ( alors que le résultat net après impôt, bénéfice apparent du délégataire, peut varier, suivant les années, de 4 à 11%). A la Communauté Urbaine d’Arras, le résultat annuel net après impôt pour l’eau potable (ou rentabilité) de Véolia, est de 24 à 26 % sur les dernières années ( le bénéfice réel est donc plus élevé … )
Pourquoi nos élus poursuivent-ils quand même une DSP ?
Parce que le partenariat public-privé est dans l’air du temps, qu’il fait partie des principes néo libéraux. Partenariat qui consiste à confier au privé de plus en plus de services publics au niveau des collectivités ( eau, transports, ordures ménagères, cantines … ).
Parce qu’il faut beaucoup de volonté politique pour monter une gestion publique de l’eau, alors qu’elle a été confiée au privé depuis de longues années. Reconduire une DSP, c’est plus simple.
Par peur, devant la complexité de technologies qu’ils connaissent mal. L’inquiétude des élus est parfois légitime, mais on peut signaler que des aides sont possibles maintenant et de plus en plus ( conseils, guides, expertises … ).
Parce qu’ils se contentent souvent de faire des comparaison de prix, alors que la prestation, la qualité du service est aussi importante, et que l’aspect démocratique et écologique ne rentre pas dans le prix. On s’aperçoit qu’un « gros effort » proposé par la multinationale sur son tarif, est suffisant aux yeux de beaucoup d’ élus ( qui peuvent se faire valoir auprès des électeurs).
Que faisons nous à « eau…secours 62 » ?
Comprendre la démocratie locale : élus municipaux, délégués communautaires, groupes politiques, directeurs techniques, commissions … ; comment se prennent les décisions, qui dirige, où y a-t-il débats ?
Rencontrer un maximum d’élus ou de services techniques au nom de l’association.
Se procurer tous les documents nécessaires : les rapports annuels du délégataire, les contrats ; et apprendre à les analyser.
Comprendre l’articulation entre les différentes structures : collectivités locales, département, agence de l’eau, l’échelon national, la législation … s’intéresser aux divers aspects écologiques ; l’état de la ressource, les pollutions.
Nous avons des contacts avec les SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion de l’Eau) mis en place localement par l’agence de bassin ; nous militons pour une agriculture plus saine, pour la non utilisation des eaux embouteillées, pour une meilleure utilisation des eaux pluviales ; ainsi que pour des comportements responsables …
Comprendre le circuit de l’eau, l’assainissement des eaux usées.
L’aspect social, les différentes possibilités de tarification.
Nous sommes en lien, au moins au niveau de l’information, avec ce qui se fait ailleurs dans les collectifs et associations.
Savoir à quelles portes frapper pour obtenir renseignements ou conseils, avoir un œil sur l’eau à l’international.
Contacts avec d’autres associations environnementales ou de consommateurs.
Et enfin : Avec ces connaissances, pouvoir discuter avec les élus, les obliger à approfondir le dossier de l’eau, les interpeler … et informer au maximum les usagers.
Le champ est vaste et nous progressons lentement, chacun peut y trouver son intérêt.
Quel bilan pour l’instant de notre action ?
Le groupe s’est étendu géographiquement, et nous sommes présents sur le Bruaysis, la CALL et l’Arrageois, avec des adhérents isolés ailleurs. Nous rencontrons une sympathie ou un appui de la part de beaucoup autour de nous. Des élus de certaines communes ont souhaité nous rencontrer l’an dernier : l’association commence à être connue ; et le but est de montrer que la gestion de l’eau n’est pas automatiquement Véolia ou la Lyonnaise des eaux.
C’est la possibilité pour chacun de travailler en équipe dans les différents domaines cités précédemment, donc de concrétiser la notion de participation citoyenne, qui pourrait difficilement se faire de manière isolée.
Nous pensons que les élus ont besoin d’être interpelés ou même bousculés. D’un autre point de vue : les baisses très sensibles des tarifs lors des nouveaux contrats sur le Bruaysis et Lens-Liévin ne sont sans doute pas étrangères aux actions d’ « eau secours 62 ». Les représentants de la multinationale n’agissent pas de la même manière s’ils sentent des contradicteurs.
Même si une nouvelle délégation a été signée avec Véolia ( Bruaysis et CALL ), nous continuons à interroger les élus sur leurs promesses de participation des usagers ( comme la création d’un « observatoire de l’eau » à la CALL), de meilleur contrôle de la multinationale… Il est probable qu’une action régulière auprès des élus et des usagers finira par porter ses fruits : le besoin d’un retour de l’eau dans le service public est de plus en plus évident.
Au niveau national, les associations comme la nôtre sont maintenant nombreuses, tant l’opposition à la marchandisation d’un bien comme l’eau est importante. Lorsqu’un minimum de volonté politique va de pair avec les mouvements d’usagers, le retour d’une gestion publique de l’eau est possible. Après l’année 2011 ( Paris, Lacs de l’Essonne, Rouen, Vierzon etc …), les collectivités ayant choisi un retour en régie l’an dernier : Cap Breton, Evry, Muret, St Pierre des Corps, St Malo, Rennes et bientôt Montbéliard, parmi celles qui nous sont connues.
En guise de conclusion : nous pourrions dire que, militer pour une gestion publique de l’eau, c’est la possibilité de contrer localement et concrètement les méfaits du capitalisme financier. C’est être solidaires des pays du sud où l’eau n’est pas accessible à tous quand elle est marchandisée. Des décisions locales peuvent limiter l’influence d’une multinationale ; les mouvements d’opposition fragilisent ces multinationales. La démocratie et l’écologie ont tout à gagner à rapprocher les citoyens de la gestion de l’eau.
(Réunions du groupe arrageois : les troisièmes mardis du mois 19h Maison des Sociétés…Pour les autres groupes, les dates sont fixées l’une après l’autre . )